Les collectionneuses du musée du Prado
Depuis plusieurs années, le musée du Prado a ouvert un sujet d’étude sur le genre et l’art, et en particulier sur la contribution féminine à l’ampleur et à la qualité des collections du musée, uniques dans le monde. Aujourd’hui, nous allons découvrir les femmes collectionneuses du musée du Prado.
Cette année encore, un colloque a été organisé pour inviter les historiens de l’art et enseignants-chercheurs à délivrer les résultats de leur recherche sur la question, occasion de réécrire le parcours permanent du musée, et de proposer un nouveau point de vue sur les œuvres à visiter actuellement : “El Prado en femenino”.
Cette étude a permis de se rendre compte que le traitement des sujets féminins ou des femmes artistes n’étaient pas toujours le même que leur homologues masculins au sein du musée, ou que l’impact politique des reines, princesses et souveraines passait aussi autrefois par le mécénat, fait trop souvent oublié.
Il est déjà important de rappeler que la création même du musée en 1819 a été largement favorisée par le travail de Marie Isabelle de Bragance, ou Marie de Portugal (1797-1818), reine d’Espagne et épouse de Ferdinand VII, qui donna l’impulsion de créer le musée. Elle est d’ailleurs représentée comme protectrice des arts dans le tableau de Bernardo Lopez Piquer, ci-dessous.
Mais de nombreuses souveraines ont aussi participé à la richesse des collections royales, telles qu’Isabelle de Castille, Élisabeth de France, ou encore Marie-Anne d’Autriche, pour ne citer qu’elles, qui, malgré la difficulté de pouvoir gérer les finances, voyager ou prendre tout simplement une place en société, ont réussi par leur influence et leur réseau à commander et acquérir de véritables chefs d’oeuvres.
C’est le cas de Marie de Hongrie (1505-1558), reine de Hongrie et de Bohême, et sœur de Charles Quint, qui a accumulé une grande collection d’œuvres du Titien, et créé une image politique de son frère Empereur grâce aux arts.
Un des tableaux du maître italien, “Charles V à la bataille de Mühlberg” (1548), représentant l’écrasante victoire de Charles Quint face à la révolte protestante du Nord de l’Europe, est par exemple une commande très politique pour l’époque. Ne pouvant participer plus activement à la bataille qu’en écrivant des lettres et préparant le conflit à distance, Marie de Hongrie a utilisé le pouvoir symbolique de la peinture pour présenter son frère comme un gouvernant impassible, puissant, et qu’il ne faudra à l’avenir plus jamais tenter de trahir. Elle médiatise avec les moyens de l’époque le conflit et ses conséquences, et inspire ainsi le respect envers Charles Quint.
La reine de Bohême est aussi à l’origine de la commande de sculptures représentant la famille royale au sein du cloître du même musée, dont nous parlé dans notre article sur le cloître de l’église des Jerónimos, passant leurs accomplissements à la postérité.
Parmi les reines collectionneuses se démarque aussi Isabelle Claire Eugénie (1556-1633), infante d’Espagne, souveraine des Pays-Bas et archiduchesse d’Autriche. Elle est notamment responsable de l’acquisition en Espagne d’une quantité impressionnante d’œuvres de Pierre-Paul Rubens présentée au musée du Prado ; la plus grande collection au monde du maître flamand !
Outre les portraits royaux qu’elle lui a commandés de son vivant, elle est aussi à l’origine de l’envoi à Madrid des “Allégories des cinq sens”, réalisés avec Jan Brueghel le Vieux, et présentés aujourd’hui encore au musée. Image du pouvoir de l’archiduchesse à la cour madrilène, et rappel des liens qui unissaient alors la Flandres et l’Espagne, ces tableaux évoquent aussi la richesse et l’abondance de l’Empire des Habsbourg, ainsi que le goût développé d’Isabelle Claire-Eugénie elle-même pour la peinture flamande. La reine et son mari, l’archiduc Albert d’Autriche, sont eux-mêmes représentés sur l’un des tableaux décorant la pièce.
Comme ces quelques pièces, de nombreuses autres ont ainsi été acquises ou commanditées par des femmes, et font partie pour certaines des chefs d’œuvres les plus célèbres du musée, tels que “La descente de Croix” de Rogier Van der Weyden, “Sisyphe” et “Tityus” du Titien, ou même les fameuses sept Muses des arts, sculptures antiques du 1er siècle qui accueillent les visiteurs dans l’une des plus belles salles du Prado.
À toutes les époques et partout dans le monde, des femmes ont ainsi collectionné des objets d’art, que ce soit par goût pour les arts, ambitions politiques ou enjeux de pouvoir, et ont laissé de magnifiques exemples d’architectures, sculptures, médailles et monnaies, arts graphiques ou écrits, qui sont aujourd’hui parmi les seuls traces de leur influence sur l’Histoire.
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